Après s’être distingué avec son mémoire de licence portant sur l’histoire de l’hôpital de Porrentruy (L’hôpital bourgeois de Porrentruy (1760–1870): Gestion du patrimoine, médicalisation des soins et assistance aux pauvres. Porrentruy: Cercles d’études historiques de la Société jurassienne d’Emulation, coll. Cahiers d’études historiques, 212 pp.), il était presque normal que Pierre-Yves Donzé réalise le mandat que l’Association des directeurs d’établissements hospitaliers de Suisse romande (ADHER) donna à l’Institut d’histoire de la médecine de Lausanne: faire l’histoire des hôpitaux romands. A la simplicité de la requête correspond la difficulté de la tâche: produire une somme de connaissances établies et nouvelles à propos des hôpitaux et des systèmes hospitaliers de sept cantons (Jura bernois compris), sur deux millénaires quasiment, qui plus est, en l’agrémentant d’une très riche iconographie. Et c’est bien ce que nous tenons entre nos mains ici, même si l’attention de l’auteur, et les connaissances nouvelles qu’il propose, se concentrent essentiellement autour de la médicalisation de l’hôpital qui débute vers la fin du XVIIIe siècle, d’une part, et les années 1990 d’autre part; la partie concernant les siècles précédents ayant plus pour vocation d’autoriser le regard encyclopédique qui anime le projet.
Nous ne saurions raisonnablement lui reprocher ce choix, d’autant que relativement à ces trois derniers siècles, P.-Y. Donzé applique le regard qui fut déjà le sien à propos du seul hôpital de Porrentruy: l’histoire des hôpitaux romands qu’il nous propose se fait à partir d’une étude de leur gestion matérielle (le nombre, le type et la variété de son personnel, le nombre de malades, de lits, de draps, l’installation de commodités, couloirs et rampes, d’une salle d’opération ou de l’électricité, la position de la chapelle, le type et le mode de financement de l’hôpital, les besoins financiers, etc.). Cette approche «économique» se révèle extrêmement pertinente, puisqu’elle vise à retracer les transformations des représentations et usages sociaux et médicaux de l’hôpital par l’étude de sources encore peu exploitées en Suisse romande.
Il en résulte une magnifique oeuvre d’histoire sociale, et surtout un formidable outil de travail: systématique (puisque organisé chronologiquement, thématiquement, puis géographiquement) et extrêmement riche en données locales, cet ouvrage évite l’écueil possible de l’épopée romanesque en tant que moyen de répondre au mandat prescrit. Ce faisant, il est du plus grand intérêt et de la plus grande utilité pour les historiennes et historiens travaillant dans ce champ de l’histoire de la santé.
Certainement même cet ouvrage serait-il capable de jouer un rôle dans le contexte de réformes que vivent depuis quelques années les systèmes de santé européens, et romands en particulier. Car l’auteur montre bien que les hôpitaux ne s’y sont pas développés hors de toute logique; le rationnement n’est qu’une raison nouvelle, et non une rationalisation tant attendue. P.-Y. Donzé n’utilise d’ailleurs jamais ce dernier terme, au contraire de celui de restructuration. En effet, l’histoire qu’il écrit est celle d’une transformation de structures, jamais celle de la formation d’une structure. Une perspective qui mériterait de prendre plus de place dans les débats actuels concernant nos systèmes de santé.
Citation:
David Muheim: Compte rendu de: Pierre-Yves Donzé: Bâtir, gérer, soigner: histoire des établissements hospitaliers de Suisse romande. Chêne-Bourg/Genève, Georg, 2003. Première publication dans: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 56 Nr. 1, 2006, S. 114-115.